Au delà du titre volontairement provocateur, petite analyse sur le rôle de stabilisateur du processus électoral dans le système actuel, et pourquoi la révolution ne sortira pas des urnes.
Le système dans lequel nous vivons actuellement ((capitaliste donc)) repose sur un ordre social de type pyramidal: la minorité des profiteurs en haut, la majorité des exploités en bas. Comme toujours dans ce type de hiérarchie se pose la question de la pérennité d’une organisation qui ne profite réellement qu’à une minorité de ses membres.
Le capitalisme a trouvé de nombreux moyens pour assurer sa stabilité. L’un d’entre-eux est l’organisation d’élections “démocratiques” ((Le terme démocratique est évidemment frauduleux dans le sens où ce n’est pas le peuple qui choisit ses candidats.)).
Ces élections ont (au-moins) deux objectifs: d’une part renouveller les élites politiques et d’autre part garantir l’adhésion d’une majorité de la population à l’ordre actuel.
Renouveler les élites politiques
Si le premier point est relativement évident, il me semble tout de même bon de rappeler que ce que l’on nomme les “élites politiques” (c’est à dire ceux qui se trouvent à la tête des partis de gouvernement par opposition aux militants “de base” ou aux petites formations politiques) se situent dans le haut de la pyramide. S’ils désirent s’y maintenir, ils ont besoin de l’appui du capital et se doivent donc de servir, dans une certaine mesure, ses intérêts ((Qui deviennent progressivement les leurs aussi.)).
N’oublions pas non plus la capacité du système à corrompre et séduire nombre de ses opposants. Des anciens de Mai-68 ((pensons à Daniel Cohn-Bendit, aujourd’hui défenseur de l’écologie de marché)), aux anciens maos de la Gauche Prolétarienne ((dont André Glucksmann qui a soutenu Nicolas Sarkozy en 2007)), en passant par d’anciens trotskistes ((par exemple Lionel Jospin, Julien Dray, Jean-Christophe Cambadélis, tous reconvertis dans l’appareil du PS.)), ils sont nombreux à avoir succombé aux charmes de l’économie de marché et à avoir su se hisser à une bonne place dans la pyramide capitaliste.
Canaliser le ressentiment populaire
Quant au second objectif, obtenir le soutien de la majorité de la population, le processus électoral y contribue en donnant à tout un chacun le sentiment de participer, ne fut-ce que par le simple acte de voter, à la vie politique sans pourtant leur donner un moyen concret de peser sur elle.
De plus, le vote permet de jouer un rôle de soupape face à la grogne populaire. En effet, l’élection fournit aux mécontents une voie légale pour exprimer leur ressentiment.
Cet aspect de contestation légale est absolument nécessaire au système puisqu’il permet alors à celui-ci de criminaliser toutes les autres méthodes de contestation et de canaliser la colère populaire dans un processus dont il garde la maîtrise ((rappelons-nous par exemple du mouvement de colère dans les banlieues françaises en 2005 qui a donné lieu à une très forte répression d’une part et à une grande campagne pour inciter les jeunes à voter d’autre part. Avec les résultats qu’on sait…)).
Ainsi, en criminalisant les autres formes de lutte et en offrant une large palette d’offres politique, il parvient à installer progressivement dans l’esprit de la population l’idée que le vote est le seul moyen acceptable d’obtenir un changement; et par voie de conséquence, que seuls ceux qui ont été élus à l’issue de ce processus soient habilités à l’incarner ((On se souviendra de l’argument avancé par la droite au pouvoir en France pour légitimer l’adoption du bouclier fiscal: la mesure était dans le programme de Nicolas Sarkozy, il a été élu, la majorité des Français sont donc favorables à cette mesure.)).
Mais quelle sont les chances pour un mouvement révolutionnaire ((et par là j’entends un mouvement qui vise à renverser l’ordre pyramidal de la société, ce qui en exclus les groupes réactionnaires.)) de prendre le pouvoir par les élections?
A vrai dire, elles sont infinitésimales.
Un marché des votes
En effet, le capitalisme a fait, avec le débat politique, ce qu’il fait le mieux, il l’a transformé en marché.
Les différentes “offres” politiques se retrouvant donc en concurrence pour le marché des voix. L’accession au pouvoir, c’est-à-dire à une position dominante sur le marché, se fait donc suivant les règles classiques du capitalisme: publicité pour son “produit”, adaptation de l’offre à la “demande”, joint-ventures (alliances) et fusions-acquisitions, etc.
Publicité: elle oblige les partis révolutionnaires à se soumettre aux règles du jeu des médias dominants ((donc capitalistes)) pour obtenir une plus grande visibilité ((qui reste néanmoins marginale comparée à celle dont bénéficient les partis bourgeois. Voir par exemple le travail d’Acrimed lors de la présidentielle de 2007.)) et donc, souvent, à édulcorer le message révolutionnaire. On a ainsi pu voir des militants communistes révolutionnaires se produire dans une émission de variétés, ou dans une émission de “débats” politiques ((notons qu’à cette émission consacrée aux “petits” partis étaient tout de même invités les représentants des “grands”, autant de temps de parole en moins pour les “petits”…)). Le format de ces émissions ne permet généralement pas l’expression sereine des idées de fonds ((en particulier par le cadrage qu’effectuent les journalistes face à un candidat communiste.)) et limite donc la portée du message qui peut ainsi être transmis dans un contexte de propagande massive en faveur du système ((dans les médias dominants, dans les “grands” partis, à l’école, …)).
Adaptation à la “demande”: il faut d’abord noter que la demande n’est pas nécessairement ((loin s’en faut)) celle du consommateur (de l’électeur donc). Elle est généralement formatée par la publicité et donc par les détenteurs du capital ((Par exemple, Chirac s’exprimant à la télévision sur le thème central de l’«insécurité» dans la campagne présidentielle de 2002: «Il aurait fallu être tout à fait sourd pour ne pas entendre ce que disaient les français avant la campagne. (…) Vous savez, je regarde aussi les journaux télévisés. Qu’est-ce que je vois depuis des mois et des mois : tous les jours ces actes de violence, de délinquance, de criminalité. C’est bien le reflet d’une certaine situation. Ce n’est pas moi qui choisissais vos sujets. » cité par Acrimed.)). Par conséquent, le message politique a perdu de sa radicalité au fur et à mesure que la “demande” s’est déplacé vers la droite. On peut voir le chemin parcouru par le Parti Socialiste français entre la phrase de Mitterrand en 1971, «La Révolution, c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas cette rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut pas être adhérent du Parti socialiste.» ((cité par Serge Halimi dans le Monde Diplomatique, Mai 2009.)) et celle de Ségolène Royal en 2007, «Il faut développer les pôles de compétitivité. Enfin, il faut investir massivement dans l’innovation et dans la recherche. Nous avons la capacité de relever tous ces défis, de réconcilier les Français avec les entreprises, de développer l’esprit de conquête et celui d’entreprendre.» ((chat sur le site des Echos.)). De même, en Belgique, on peut mesurer l’écart entre la déclaration des principes fondamentaux d’Ecolo de 1985 ((Parmi ceux-ci, on notera avec intérêt la place de l’antiproductivisme, la lutte contre la mondialisation, la lutte contre l’automobile et la prolifération nucléaire, le fédéralisme intégral, l’autogestion, …)) et le soutien au Traité Constitutionnel Européen ((Traité dont l’un des points principaux visait à l’instauration d’une concurrence libre et non-faussée sur le territoire de l’Union.)) vingt ans plus tard. De sorte que, c’est maintenant la droite qui s’approprie des termes comme rupture ((Nicolas Sarkozy en 2007)) ou même révolution ((voir le programme du cdH (démocrates chrétiens) pour les élections de 2009 en Belgique)), en même temps que les mots révolution, lutte des classes (et même simplement classes dans un contexte extra-scolaire), voire carrément travailleurs ont quasiment disparu des programmes des partis de gauche (et ce même au sein de la “gauche radicale”) ((à ce propos, je ne peux que recommander la lecture de «La guerre des classes» de François Ruffin où l’auteur montre bien comment l’évidence de la guerre des classes à disparu du champ politique.)).
Par ailleurs, l’adaptation à la “demande” se fait également en intégrant dans leur “produit” des éléments qui semblent faire le succès de la “concurrence”, les partis dominants reprenant à leur compte des thématiques sécuritaires, xénophobes ((Nicolas Sarkozy, toujours lui, a déjà mis en pratique au-moins 20 propositions du Front National avant la présidentielle de 2007)), nationalistes ((voir par exemple les principaux partis flamands en Belgique)), voire sociales ((par exemple, la “fracture sociale” du candidat Chirac, ou le “président du pouvoir d’achat” du candidat Sarkozy. Du côté du PS, on peut se rappeler de la position “noniste” de Laurent Fabius lors du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen.)).
Alliances: leur but est évident, il s’agit de s’associer avec un ou plusieurs concurrents en vue d’obtenir (ou de conserver) une position dominante sur le marché ((Les exemples ne manquent pas, en France: Programme Commun (PS-PCF), Gauche Plurielle (PS-PCF-Les Verts), UMP (fusion RPR-UDF); comme en Belgique: coalitions “colorées” (arc-en-ciel, violette, orange-bleue, …), cartels SPa-Spirit, CD&V-NVA, PC-PSL-LCR-PH, …)). Elles sont quasiment nécessaires pour parvenir au pouvoir, ce qui permet au système de se garantir contre des changements trop radicaux.
Et les Fronts populaires?
Et si, malgré tout, une coalition à tendance révolutionnaire parvenait au pouvoir par la seule force des urnes, le capital a montré qu’il était prêt, soit à négocier avec le nouveau pouvoir en faisant quelques concessions ((ces concessions peuvent parfois paraître très larges et forment la base de ce que l’on a appelé “l’Etat-Providence”, elles n’en ont pas moins permis au Capital de se maintenir et même de se développer.)) de manière à préserver l’essentiel du cadre capitaliste ((Ce fut par exemple le cas du Front Populaire en 1936. Il faut noter que l’une des premières actions de ce gouvernement fut de mettre un terme au climat quasi insurrectionnel qui régnait, prouvant déjà que les gouvernement appartiennent avant tout au parti de l’ordre.)), soit à recourir à des méthodes plus drastiques comme le coup d’Etat ((Par exemple en Espagne en 1936, en Grèce en 1967, ou dans la plupart des pays d’Amérique latine dans les années 70-80.)).
Certes, on peut observer des situations intéressantes, particulièrement en Amérique latine, où des gouvernements affichant une claire volonté de changement sont parvenus au pouvoir. Mais quelques précisions sont à apporter.
D’abord, le contexte particulier de l’Amérique latine (longues années de dictature, énorme fossé dans les inégalités, populations indigènes en quête d’une existence politique) qui a permis l’émergence de mouvements populaires forts et sévèrement réprimés (des centaines de morts lors de la manifestation à Caracas en 1989, plusieurs morts aussi lors de la «guerre de l’eau» à Cochabamba en Bolivie en 2000) et c’est grace à ces mouvements que les gouvernements actuels sont arrivés au pouvoir et parviennent à s’y maintenir malgré les contre-offensives de la bourgeoisie locale ((généralement soutenue par les Etats-Unis.)) (coup d’Etat au Vénézuela en 2002, menaces de séparatisme des provinces riches en Bolivie depuis 2006).
Ensuite, on assiste plus à un transfert du capital (du privé vers l’Etat) qu’à son abolition. Le patron change, il est peut-être meilleur et plus juste que le précédent; mais ça reste un patron.
Seul l’avenir dira si ces expériences actuelles ((réformistes donc, plus que révolutionnaires.)) mèneront progressivement à la révolution, c’est-à-dire à l’abolition du système pyramidal capitaliste; mais cela dépendra certainement plus de la force et de la résolution des mouvements populaires que du seul processus électoral.
Seule la lutte paie
Bref, jamais la révolution, c’est-à-dire la renversement de l’ordre capitaliste, n’a réussi au travers d’élections. Au contraire, en martelant que le vote est la seule voie possible pour le changement, le système à su transformer le processus électoral en un outil de décrédibilisation des autres formes de luttes. Ceci lui permet donc de maintenir sa domination sur la population, tout en donnant à celle-ci l’illusion d’un existence politique.
On ne peut pas gagner en jouant avec les règles de son ennemi.