Le système dans lequel nous vivons actuellement ((capitaliste donc)) repose sur un ordre social de type pyramidal: la minorité des profiteurs en haut, la majorité des exploités en bas. Comme toujours dans ce type de hiérarchie se pose la question de la pérennité d’une organisation qui ne profite réellement qu’à une minorité de ses membres.
Le capitalisme a trouvé de nombreux moyens pour assurer sa stabilité. L’un d’entre-eux est l’organisation d’élections “démocratiques” ((Le terme démocratique est évidemment frauduleux dans le sens où ce n’est pas le peuple qui choisit ses candidats.)).
Ces élections ont (au-moins) deux objectifs: d’une part renouveller les élites politiques et d’autre part garantir l’adhésion d’une majorité de la population à l’ordre actuel.
Si le premier point est relativement évident, il me semble tout de même bon de rappeler que ce que l’on nomme les “élites politiques” (c’est à dire ceux qui se trouvent à la tête des partis de gouvernement par opposition aux militants “de base” ou aux petites formations politiques) se situent dans le haut de la pyramide. S’ils désirent s’y maintenir, ils ont besoin de l’appui du capital et se doivent donc de servir, dans une certaine mesure, ses intérêts ((Qui deviennent progressivement les leurs aussi.)).
Quant au second objectif, obtenir le soutien de la majorité de la population, le processus électoral y contribue en donnant à tout un chacun le sentiment de participer, ne fut-ce que par le simple acte de voter, à la vie politique sans pourtant leur donner un moyen concret de peser sur elle.
De plus, le vote permet de jouer un rôle de soupape face à la grogne populaire. En effet, l’élection fournit aux mécontents une voie légale pour exprimer leur ressentiment.
Cet aspect de contestation légale est absolument nécessaire au système puisqu’il permet alors à celui-ci de criminaliser toutes les autres méthodes de contestation et de canaliser la colère populaire dans un processus dont il garde la maîtrise ((rappelons-nous par exemple du mouvement de colère dans les banlieues françaises en 2005 qui a donné lieu à une très forte répression d’une part et à une grande campagne pour inciter les jeunes à voter d’autre part. Avec les résultats qu’on sait…)).
Ainsi, en criminalisant les autres formes de lutte et en offrant une large palette d’offres politique, il parvient à installer progressivement dans l’esprit de la population l’idée que le vote est le seul moyen acceptable d’obtenir un changement; et par voie de conséquence, que seuls ceux qui ont été élus à l’issue de ce processus soient habilités à l’incarner ((On se souviendra de l’argument avancé par la droite au pouvoir en France pour légitimer l’adoption du bouclier fiscal: la mesure était dans le programme de Nicolas Sarkozy, il a été élu, la majorité des Français sont donc favorables à cette mesure.)).
Mais quelle sont les chances pour un mouvement révolutionnaire ((et par là j’entends un mouvement qui vise à renverser l’ordre pyramidal de la société, ce qui en exclus les groupes réactionnaires.)) de prendre le pouvoir par les élections?
A vrai dire, elles sont infinitésimales.
En effet, le capitalisme a fait, avec le débat politique, ce qu’il fait le mieux, il l’a transformé en marché.
Les différentes “offres” politiques se retrouvant donc en concurrence pour le marché des voix. L’accession au pouvoir, c’est-à-dire à une position dominante sur le marché, se fait donc suivant les règles classiques du capitalisme: publicité pour son “produit”, adaptation de l’offre à la “demande”, joint-ventures (alliances) et fusions-acquisitions, etc.
Publicité: elle oblige les partis révolutionnaires à se soumettre aux règles du jeu des médias dominants ((donc capitalistes)) pour obtenir une plus grande visibilité et donc, souvent, à édulcorer le message révolutionnaire. On a ainsi pu voir des militants communistes révolutionnaires se produire dans une émission de variétés, ou dans une émission de “débats” politiques ((notons que le format de ces émissions ne permet généralement pas l’expression sereine des idées de fonds.))…
Adaptation à la “demande”: il faut d’abord noter que la demande n’est pas nécessairement ((loin s’en faut)) celle du consommateur (de l’électeur donc). Elle est généralement formatée par la publicité et donc par les détenteurs du capital. Par conséquent, le message politique a perdu de sa radicalité au fur et à mesure que la “demande” s’est déplacé vers la droite. On peut voir le chemin parcouru par le Parti Socialiste français entre la phrase de Mitterrand en 1971, «La Révolution, c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas cette rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut pas être adhérent du Parti socialiste.» ((cité par Serge Halimi dans le Monde Diplomatique, Mai 2009.)) et celle de Ségolène Royal en 2007, «Il faut développer les pôles de compétitivité. Enfin, il faut investir massivement dans l’innovation et dans la recherche. Nous avons la capacité de relever tous ces défis, de réconcilier les Français avec les entreprises, de développer l’esprit de conquête et celui d’entreprendre.» ((chat sur le site des Echos.)). De même, en Belgique, on peut mesurer l’écart entre la déclaration des principes fondamentaux d’Ecolo de 1985 ((Parmi ceux-ci, on notera avec intérêt la place de l’antiproductivisme, la lutte contre la mondialisation, la lutte contre l’automobile et la prolifération nucléaire, le fédéralisme intégral, l’autogestion, …)) et le soutien au Traité Constitutionnel Européen ((Traité dont l’un des points principaux visait à l’instauration d’une concurrence libre et non-faussée sur le territoire de l’Union.)) vingt ans plus tard.
Par ailleurs, l’adaptation à la “demande” se fait également en intégrant dans leur “produit” des éléments qui semblent faire le succès de la “concurrence”, les partis dominants reprenant à leur compte des thématiques sécuritaires, xénophobes, voire sociales ((par exemple, la “fracture sociale” du candidat Chirac, ou le “président du pouvoir d’achat” du candidat Sarkozy.)).
Alliances: leur but est évident, il s’agit de s’associer avec un ou plusieurs concurrents en vue d’obtenir (ou de conserver) une position dominante sur le marché. Elles sont quasiment nécessaires pour parvenir au pouvoir, ce qui permet au système de se garantir contre des changements trop radicaux.
Et si, malgré tout, une coalition à tendance révolutionnaire parvenait au pouvoir par les urnes, le capital a montré qu’il était prêt, soit à négocier avec le nouveau pouvoir en faisant quelques concessions de manière à préserver l’essentiel du cadre capitaliste ((Ce fut par exemple le cas du Front Populaire en 1936. Il faut noter que l’une des premières actions de ce gouvernement fut de mettre un terme au climat quasi insurrectionnel qui régnait, prouvant déjà que les gouvernement appartiennent avant tout au parti de l’ordre.)), soit à recourir à des méthodes plus drastiques comme le coup d’Etat ((Par exemple en Espagne en 1936 ou en Grèce en 1967.)).
Bref, jamais la révolution, c’est-à-dire la renversement de l’ordre capitaliste, n’a réussi au travers d’élections.
On ne peut pas gagner en jouant avec les règles de son ennemi.
Et pour un article particulièrement long, deux morceaux de musique:
Les Wampas – Liste de droite
Radiohead – Electioneering