(il s’agit de la compilation de cet article, de celui-ci et de celui-là.)
C’est la lutte finale…
Quand on lit le communiqué des 4 inculpés du Secours Rouge, on peut sourire à l’évocation de la lutte des classes, à l’opposition entre la bourgeoisie et le prolétariat. On peut se dire qu’il s’agit d’un combat dépassé au XXIème siècle. Et pourtant…
Pourtant, les puissances de l’argent savent bien que cette lutte existe. Comme l’affirme Warren Buffett, l’homme le plus riche de la planète:
There’s class warfare, all right, but it’s my class, the rich class, that’s making war, and we’re winning. ((Warren Buffett, New York Times, November 26, 2006.))
Il y a une guerre de classes, c’est sûr, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui fait la guerre et nous sommes en train de gagner.
Et il est clair que la classe dominante a parfaitement intégré certains concepts du discours traditionnel de gauche, tels que la lutte des classes, l’internationalisme ou encore la propagande.
Je vais ici m’attacher à illustrer un peu cette “guerre de classes” que mènent les puissances de l’argent contre nous et je reviendrai sur l’internationalisme et la propagande plus bas.
Quand on parle de lutte des classes, trop souvent c’est l’image traditionnelle d’ouvriers se battant contre le patron qui ressurgit. Il va de soi que cette vision simpliste qui délimite en deux camps bien identifiés prolétariat et bourgeoisie n’est plus vraiment de mise dans la société capitaliste du XXIème siècle. Le système a su évoluer de manière à rendre les vrais bénéficiaires du système (les “patrons”) nettement moins identifiables en diluant la chaîne des responsabilités entre plusieurs acteurs qui profitent à des degrés divers de ce système: actionnaires, conseils d’administration, présidents, CEOs, directeurs régionaux, managers, chefs d’équipe, contremaîtres, etc.
Le résultat direct de cette évolution est de rendre le(s) réel(s) donneur(s) d’ordres inaccessibles à ses travailleurs. Du coup, lorsque qu’un groupe de travailleurs en ayant assez de se prendre des coups de tatanes dans la gueule, se révolte et retient son “patron” dans les locaux de l’entreprise, celui-ci peut, en toute bonne foi, leur dire qu’il n’y peut rien, qu’il n’est qu’un simple exécutant.
En toute bonne foi?
Oui et non. Oui d’un point de vue purement structurel: il n’est, de fait, qu’un rouage dans des mécanismes de décisions qui se prennent (plus ou moins) loin de lui. Non car pour arriver à son poste, à ce niveau de responsabilité, il a dû accepter et intérioriser les valeurs de ce système. En acceptant son poste à responsabilité, il devient donc (au-moins partiellement) complice d’un système qu’il sert et qui le sert.
Dès lors, vers qui peuvent se retourner les travailleurs en colère? Vers le conseil d’administration? Vers l’assemblée générale des actionnaires ((on écoutera avec intérêt ce reportage de Là-bas si j’y suis qui suit un groupe d’ouvrières du Nord se rendant à l’assemblée générale des actionnaires de LVMH pour interpeller Bernard Arnault sur la fermeture de leur usine.)) ? Vers l’actionnaire majoritaire?
A côté des donneurs d’ordres invisibles et inaccessibles, le mécanisme de dilution des responsabilités permet également de faire éclater la cohésion des masses laborieuses en en gratifiant une partie de miettes de pouvoir et donc de richesses et en lui faisant miroiter la possibilité de s’élever dans la hiérarchie. Ainsi s’est crée ce qu’on a appelé une “classe moyenne” de possédés (travailleurs salariés) possédants (accès à la propriété foncière, petite consommation de luxe, petit actionnariat, etc.) qui, craignant de perdre leur statut de “possédants”, en vient à défendre les valeurs des classes aisées (les vrais possédants) contre les classes laborieuses ((au passage, la problématique actuelle du “pouvoir d’achat” illustre fort bien pour moi la dualité possédé-possédant de cette “classe moyenne”. En effet, en tant que “possédés”, elle est sensible à la modération salariale et en tant que “possédante”, elle se doit d’adopter les comportements de consommation des classes aisées. Cette question mériterait certainement un article séparé.)) .
Donc, l’un des premiers aspects que l’on observe de cette guerre de classes est la tentative (fructueuse pour l’instant) de la classe dominante de fractionner les classes laborieuses en groupes antagonistes (j’ai déjà mentionné l’opposition entre “classe moyenne” et “classe laborieuse“; mais, la classe laborieuse représentant toujours une large part de la population, et donc une menace importante pour ceux qui l’exploitent, cela ne suffit pas et il faut donc créer d’autres antagonismes pour diviser encore plus le tissu social: travailleurs contre chômeurs, autochtones contre allochtones, usagers contre grévistes ((il est intéressant de noter que ceux qui sont habituellement désignés comme des clients redeviennent, lors de mouvements sociaux, des usagers.)) , …) suivant l’adage classique du diviser pour mieux régner.
Une fois acquise la désagrégation de toute possible résistance commune, les puissances du capital peuvent, sans grande crainte, lancer des attaques à la fois économiques et idéologiques.
Les attaques économiques consistent d’une part à asseoir leur position dominante et l’augmentation de leur capital à l’aide de ce qu’on appelle, dans la novlangue actuelle, des “réformes“: allègements fiscaux (exemples récents, le bouclier fiscal en France ou les intérêts notionnels en Belgique), aides publiques (exemples: prime aux biocarburants, aide à certaines grosses industries), concentrations (exemple récent: GDF-Suez), etc.
D’autre part, il s’agit aussi de précariser les classes laborieuses en s’attaquant prioritairement à leurs composantes les plus fragiles (chômeurs, jeunes, vieux, sans-papiers, sans-abris, travailleurs non-qualifiés, …) à l’aide d’un arsenal juridique (expulsions de sans-papiers, réactivation ((notons au passage l’aspect très mécanisé de ce terme. Le chômeur est un travailleur désactivé qu’il s’agit, en appuyant sur les bons boutons, de réactiver.)) et radiation des chômeurs, augmentation de l’intérim et du travail précaire, retour sur la dispense de recherche de travail pour les seniors, refonte du code du travail pour augmenter la flexibilité des travailleurs, refonte du droit au logement pour faciliter les expulsions, etc.) afin de faire comprendre à ceux qui n’appartiennent pas (encore) à ces catégories qu’ils sont des privilégiés.
La plupart de ces attaques économiques nécessitant l’aide (ou à tout le moins la neutralité bienveillante) de l’Etat, il est essentiel dans le même temps de procéder à des attaques idéologiques de manière à ce que les représentants politiques puissent agir en faveur du grand capital au nom du “bien commun“.
Ces attaques, utilisant l’arme de la propagande, visent tous ceux qui pourraient remettre en cause le modèle actuel par une mobilisation de masse: syndicats ((“le syndicalisme que l’on doit combattre, c’est celui de SUD“, François Hollande)), mouvements sociaux ((“désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit“, Nicolas Sarkozy)), contestataires de tout poil ((“Les altermondialistes qui s’apprêtent à empêcher par la violence le sommet européen de Laeken sont des quasi-fascistes.“, Guy Verhofstadt. Plus récemment, la criminalisation de la solidarité, ou encore la dénonciation régulière de l'”irréalisme” des propositions de gauche, etc. Je reviendrai sur la propagande dans un autre article.)), afin de décrédibiliser aux yeux de l’opinion les alternatives possibles à un système qui ne profite vraiment qu’à une toute petite minorité.
Bref, même si les contours des classes sont moins bien définis qu’autrefois, il n’en reste pas moins clair que la guerre menée par la classe dominante, celle qui détient le pouvoir, celle qui donne les ordres, celle qui veille à maintenir ce système en place, contre la classe dominée, celle qui reçoit les ordres, celle qui produit les richesses mais qui n’en bénéficie que très marginalement; cette guerre est bien réelle et bien comprise par ceux qui la mènent.
“War is peace“, George Orwell, 1984
Groupons-nous et demain…
S’il est un constat évident à faire, c’est bien celui que le capital a bien compris qu’il ne pourrait prospérer dans un cadre strictement national.
Ainsi, déjà bien avant la Première Internationale, les détenteurs du capital avaient compris la nécessité de dépasser le cadre de leurs frontières pour conquérir de nouveaux marchés ((le capitalisme est intrinsèquement impérialiste, il doit sans cesse croître sous peine de s’effondrer.)), c’est l’époque des Compagnies des Indes Orientales (dont la plus célèbre est bien sûr la Compagnie anglaise des Indes Orientales) qui donneront naissance au XIXème siècle aux différents empires coloniaux ((de même, pour la Belgique, la colonisation du Congo est née d’un projet économique porté par le roi Léopold II)). Ces compagnies étaient essentiellement des entreprises privées préfigurant les transnationales d’aujourd’hui.
Mais si l’idée de sociétés transnationales n’est pas nouvelle, l’apogée de leur hégémonie n’apparaîtra que dans la seconde moitié du XXème siècle.
Aidées par les institutions nées des accords de Bretton-Woods (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International) et surtout par la création du GATT (ancêtre de l’Organisation Mondiale du Commerce) qui facilitent la libre circulation des capitaux et posent les fondements du dogmatisme libéral actuel, nombre d’entreprises ont ainsi pu étendre leur empire avec la protection bienveillante des acteurs institutionnels ((d’autant plus que cela permet, en pleine période de décolonisation, aux Etats colonisateurs de conserver un certain contrôle sur leur anciennes colonies sans devoir recourir aux canonnières d’antan.)) .
Ainsi sont nées un certain nombre d’institutions internationales (c’est-à-dire regroupant des Etats) crées de manière formelle (OMC, OCDE, CEE, …) ou informelle (G8, Club de Paris, …); mais également, des rencontres regroupant des acteurs non-institutionnels comme par exemple le Forum Economique de Davos ou le plus discret Groupe Bilderberg, ou encore, plus récemment, le G8 Business Summit (voir photo) qui regroupe les dirigeants patronaux des pays du G8.
Ces réunions entre puissants leur permettent de se pencher sur divers “problèmes” (par exemple: comment sauver le système du capitalisme mondialisé en crise, comment restaurer la confiance dans ce modèle qui va d’échec en échec, …), d’établir des programmes de “réformes” ((voir par exemple ce précédent article)), mais aussi des déclarations communes.
Par ailleurs, cette organisation transnationale du système économique (mondialisation) permet de mettre en concurrence les travailleurs de différentes zones de production (délocalisations) afin de diviser un mouvement de contestation global en de multiples luttes locales déconnectées et donc plus facilement gérables; car, elle permet également, comme je le disais précedemment, d’éloigner les travailleurs des centres de décision (filiales, sous-traitance, …), ce qui, combiné avec une intense propagande ((voir ci-dessous)), amène à faire plus facilement accepter l’inéluctabilité des diktats économiques.
Bref, cette “Internationale du Capital“, loin d’être la manifestation d’une solidarité dépassant le cadre artificiel et obtus des frontières, procède d’une convergence d’intérêts économiques dont l’objectif, au contraire de l’internationalisme ouvrier qui visait à l’émancipation des travailleurs, est bien évidemment de maintenir et augmenter ((voir note 9.)) les avantages qu’elle a durement acquis à la sueur du front des classes laborieuses dans le cadre de cette guerre de classe qu’elle mène contre nous.
Le Capital sera le genre humain…
(cet article est la suite de celui-ci et de celui-là)
Depuis toujours, en raison de sa nature, le capitalisme ne bénéficie, réellement, qu’à une toute petite minorité de la population. Dès lors, pourquoi l’immense majorité de ceux qui n’en profitent pas ou très partiellement, n’ont-ils pas renversé ce système qui les exploite?
La réponse tient en un mot: propagande.
La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays.
Propaganda (1928), Edward Bernays (trad. Oristelle Bonis), éd. Zones, 2007, p. 31 ((Edward Bernays est le père de la propagande moderne.))
Sous nos latitudes, cette propagande est omniprésente et multiforme.
Son rôle est multiple. Il s’agit, entre autres, d’ancrer dans l’esprit de la majorité la forme actuelle du système, ce qui s’obtient en décrédibilisant les alternatives possibles ((en exigeant par exemple un “réalisme” qui, a contrario, ne s’applique pas au système actuel)), en utilisant des mythes fondateurs (“la main invisible du marché”, “la concurrence libre et non faussée”, …), en créant des des rêves de réussite accessible à tous, et, en cas de “crise”, de détourner l’attention, voire la colère de la majorité exploitée par le système, vers des boucs émissaires comme les “dérives du système ((par exemple, les parachutes dorés))”, les “patrons voyous”, le “terrorisme“, l’intégrisme musulman, les étrangers ((le recours au nationalisme, et donc à la guerre, est un grand classique du genre)), etc. ((l’avantage du recours à un bouc émissaire, c’est qu’on peut toujours facilement en trouver un…)) ou bien de canaliser cette colère vers les mécanismes institutionnels habituels (élections, partis, syndicats, …); mais surtout, son rôle essentiel est de maintenir divisée la majorité de la population de sorte qu’elle ne puisse s’unir pour établir un système partageant les richesses de manière plus équitable.
Pour ce faire, la classe dominante a su créer des antagonismes au sein de ceux qu’elle domine de manière à ce qu’ils s’opposent entre-eux plutôt qu’ensemble contre elle: travailleurs contre chômeurs, autochtones contre allochtones, usagers contre grevistes, …
Les formes prises par cette propagande sont, comme je le disais, multiples.
On la retrouve, par exemple, dans l’enseignement où l’on “sensibilise” dès le plus jeune âge les enfants à l’esprit d’entreprise (j’ai personnellement été confronté au fameux Boule et Bill créent une entreprise à la fin de mes primaires), les cours d’histoire se contentent souvent de reprendre la version “officielle” dont on sait pourtant qu’elle est écrite par le vainqueur à son avantage; et combien d’heures sont consacrées à développer l’esprit critique des élèves?
L’enseignement constitue un endoctrinement nécessaire pour que l’individu évite de se poser trop de questions quant à son rôle d’exécutant dans le système ((et cela, nonobstant le fait évident que le système éducatif sert bien évidemment aussi à reproduire les inégalités sociales)).
On peut également trouver des exemples cette propagande dans la publicité. L’idée est de maintenir l’image de certaines classes d’individus dans des carcans stéréotypés afin qu’ils acceptent, par la répétition propre à la publicité, cette image d’eux-mêmes. L’exemple le plus évident est bien sûr celui de l’image de la femme mais ce n’est pas le seul ((j’avais déjà relevé ici le cas de la campagne contre la contrefaçon.)).
Mais l’exemple le plus frappant de cette propagande se retrouve naturellement dans les médias. Il suffit d’ouvrir n’importe quel “grand” journal, d’allumer sa télévision ou d’écouter une radio à diffusion nationale pour en avoir de nombreux exemples.
Par le jeu des concentrations de capital, la plupart des grands médias appartiennent ou sont dépendant (par les participations au capital ou la publicité) de grands groupes ((Ce n’est pas par hasard qu’un journal comme le Plan B parle de Parti de la Presse et de l’Argent (PPA).))
Le résultat en est que les journalistes intériorisent les priorités de la classe dominante ((à tel point que pour certains d’entre-eux, il est impossible d’être journaliste et communiste à la fois)), de sorte qu’il est quasi exceptionnel qu’un patron doive censurer l’un de ses journalistes ((exceptionnel mais pas impossible, il suffit de consulter, par exemple, le numéro des Dossiers du Canard consacré à la censure justemment)).
Petit à petit, les journalistes se retrouvent, souvent à leur insu, être les serviteurs des puissants en maintenant le champ du débat dans un cadre strict ((mais qui n’exclut pas la critique aux marges du système. Critique marginale qui permet alors d’affirmer la nature “libre” du système sans jamais réellement le remettre en cause.)) qui est justement celui voulu par leurs maîtres et en établissant ainsi une orthodoxie en-dehors de laquelle il est quasi-impossible de s’exprimer dans un média de masse.
Par ailleurs, les journalistes participent pleinement à la création des mythes de la “réussite” en reprenant sans sourciller les histoires (storytelling) qui leurs sont servies par leurs maîtres, présentant ainsi des “solutions” individuelles plutôt que collectives.
Le résultat de ce matraquage permanent est évident. En nous maintenant divisés, en formattant nos désirs et nos modes de pensée, la classe dominante peut facilement augmenter sa part du gâteau en poursuivant une guerre de classe d’autant plus impitoyable que par son contrôle des médias, elle nous maintient dans l’ignorance de cette lutte.
Que faire alors? Comment réagir?
Il ne tient qu’à chacun d’entre-nous de faire preuve de curiosité, d’esprit critique. De remettre en cause les vérités établies, de s’interroger sur d’éventuelles motivations cachées, de chercher des sources d’informations alternatives, de discuter autour de nous et de prendre conscience que la plupart de nos problèmes sont communs et que pour y apporter une solution, elle devra être collective et non individuelle.