Le 7 février dernier, Caroline Fourest était invitée à débattre avec Hervé Hasquin sur le thème “L’extrême-droite est-elle devenue fréquentable?” à l’Université Libre de Bruxelles. Débat modéré par Guy Haarscher.
La soirée tourna court quand une poignée d’individus affublés de pseudo-“burqa” emmenés par Souhail Chichah, un assistant de l’ULB, interrompirent le débat en question aux cris de “Burqa bla bla”.
La suite était prévisible: unanime levée de boucliers pour dénoncer une atteinte à la liberté d’expression, assimilation des perturbateurs à des intégristes musulmans, condamnation violente de Souhail Chichah et demandes de son expulsion de l’Université, …
J’ai fait une petite analyse de cette mise à mort médiatique sur la page De la “burqa bla bla” au lynchage médiatique.
Je voudrais revenir ici sur plusieurs éléments singulièrement absents de l’abondante couverture médiatique de l’événement.
Tout d’abord, le terme de “débat” pour qualifier l’événement. Comme je le rappelle dans ma petite analyse, le terme “débat” implique des interlocuteurs ayant des idées opposées sur un sujet. Peut-on vraiment imaginer un instant que Caroline Fourest, Hervé Hasquin (ancien Ministre MR, ancien président et recteur de l’ULB) et Guy Haarscher (philosophe proche du MR et grand défenseur de l’Etat d’Israël) puissent avoir autre chose que des divergences de forme sur un thème comme celui de l’extrême-droite ((Et bien sûr, pour ces trois là l’extrême-droite se cantone au Front National ou aux mouvements belges équivalents. Ne pourrait-on pourtant pas la trouver aussi à l’UMP ou au MR?))?
Il s’agissait donc plutôt d’une conférence de Caroline Fourest, voire d’un “dialogue” comme elle le dit elle-même dans son compte-rendu de la soirée.
Deuxième chose, la personnalité controversée de Caroline Fourest elle-même. Présentée dans un article comme une “essayiste et journaliste française, auteure d’une biographie fouillée sur Marine Le Pen“, les grands médias n’émettent aucune critique sur la qualité de son travail.
Pourtant celui-ci procède bien souvent d’amalgames, généralisations, approximations, accusations sans preuves, voire calomnies. Pour s’en convaincre, on pourra consulter les sites d’Acrimed ou Les Mots Sont Importants, et, à ma connaissance, deux ouvrages au-moins effectuent une critique du travail de la journaliste:
Le dernier exemple en date est peut-être son propre compte-rendu de la conférence qui commence, tout en finesse, par:
C’est l’histoire d’une conférence contre l’extrême droite et le racisme anti-musulmans qui se retrouve sabotée par une extrême droite pro-islamiste.
Donc, pour Caroline Fourest, contester son point de vue sur “l’extrême-droite et le racisme anti-musulman” relève de l’extrême-droite pro-islamiste. Joli raccourci.
Un peu plus loin, elle décrit l’ULB où “quelques-uns de ces cercles [étudiants] sont noyautés et tombés sous le charme du prédicateur Tariq Ramadan, invité régulièrement comme une rock star sur leur campus, quand ils ne font pas venir l’humoriste Dieudonné… Histoire de rire un peu des Juifs et de leur lobby tout puissant.”
Sachant d’une part que Tariq Ramadan est persona non grata à l’ULB depuis 2007 où une conférence qu’il devait tenir a été annulée par décision des autorités de l’Université, déclenchant au passage une polémique sur la question de la liberté d’expression à l’ULB; et d’autre part que, à ma connaissance, Dieudonné n’a jamais donné de conférence à l’ULB, on est en droit d’avoir quelques réserves sur le sérieux et les méthodes de travail de Caroline Fourest.
On aurait donc pu attendre des autorités académiques que, suivant leur propre règle ((Plusieurs “débats” ayant été annulés en raison de leur aspect “non-contradictoire”.)), elles exigent la présence d’un (réel) contradicteur à cette soirée.
Cela ne signifie nullement “inviter des représentants de l’extrême droite pour nous apporter la contradiction” comme le pense Caroline Fourest, qui, reprenant le fameux “on peut rire de tout; mais pas avec tout le monde” de Pierre Desproges, affirme que “la même règle vaut pour l’échange intellectuel”, tout en rappellant plus loin qu’elle a participé à “un débat très regardé sur France 2 face à Marine Le Pen”. Difficile de s’y retrouver…
C’est, d’après ce qu’il affirme, ce caractère non-contradictoire qui aurait poussé Souhail Chichah (après avoir vainement demandé à participer au débat) et ses camarades à déclencher cette “burqa pride”. Au vu de ce qui précède, on ne pourrait tout à fait lui donner tort, surtout connaissant la tradition du chahut dans l’enceinte universitaire. Pourtant, je trouve personnellement que cette action mal construite, contre-productive et finalement dangereuse.
– Mal construite, parce que si le groupe des pertubateurs avaient (on l’espère) les clés d’interprétation du chahut, le public les ignorait. Le slogan “burqa bla bla” faisait, parait-il, référence à cet article de Serge Halimi dans le Monde Diplomatique. Sans le signaler, comment l’audience peut-elle le savoir? Absence totale aussi de banderoles ou de tracts expliquant le sens de l’action. Ensuite, désigné comme le meneur du groupe par Guy Haarscher, Souhail Chichah refusera d’abord de s’exprimer, ce qu’on ne saurait lui reprocher quand on sait qu’il ne suffit pas d’avoir accès au micro pour pouvoir s’exprimer ((et ici je pense à l’émission de Bourdieu dans Arrêt sur images où le sociologue est lui-même victime de ce qu’il entendait dénoncer.)), puis il finira par prendre un micro qui sera, dit-il, coupé au bout de quelques minutes… Pourquoi, sachant qu’il serait inutile de débattre dans de telles conditions, ne pas avoir préparé un texte pouvant être lu à haute voix?
– Contre-productive, en raison de ce qui précède, le retour médiatique était prévisible. Les hauts cris sur la “censure”, l’atteinte à la “liberté d’expression”, le fait qu’elle soit le fait de “fascistes”, ou “d’intégristes musulmans”, étaient sans surprise. Mais si le bruit médiatique était très (trop) élevé en rapport avec l’événement, il n’a servi qu’à asseoir les positions de Fourest, Hasquin et Haarscher qui ont beau jeu de se draper dans leur liberté d’expression bafouée. Il n’y aura aucune critique des positions de Caroline Fourest dans les médias dominants suite à cette action. Quelle était alors son objectif réel?
– Dangereuse, car en plus des risques personnels encourus par Souhail Chichah, ce type d’action non-expliquée permet de créer un consensus autour des personnes visées. Comme le dit Henri Goldman: “Le chahut de l’ULB fut un merveilleux cadeau à Caroline Fourest qui en est sortie à son avantage“. Par conséquent, ceux qui s’opposent aux idées et aux méthodes de Caroline Fourest vont devoir se battre encore plus pour défendre un point de vue contraire à celle-ci et vont probablement devoir se justifier face à des accusations de sympathie pour l’extrême-droite et/ou l’islamisme. De plus, la fabrication d’un “martyr de la cause” en la personne de Souhail Chichah, ne me semble pas augurer d’un enrichissement du débat d’idées…
Bref, si l’idée d’une action de ce genre pouvait clairement se justifier, on ne peut que regretter le gâchis qui en résulte dans ce cas précis.
(et je me rends compte que j’ai été beaucoup plus long que je ne le souhaitais sur ce micro-événement, alors que j’aurais bien voulu faire un parallèle avec la suspension de séance à l’Assemblée Nationale française lors de l’intervention de Serge Letchimy contre les propos du Ministre de l’Intérieur, Claude Guéant…)