Un Homme A Poil Sur Le Net

29 05 2010

Légaliser la prostitution? (suite)

Filed under: C'est la vie...,Réflexions — Un Homme @ 11:58

Mon petit sondage sur la question de la légalisation indiquant une majorité de lecteurs en faveur de la légalisation, je me suis dit que c’était un bon moment pour reparler de la question (et pour changer le sondage aussi ;).

Coup de pot, je suis tombé sur un texte qui le fait très bien pour moi. Il s’agit de la préface à l’édition catalane du livre de Richard Poulin : « Abolir la prostitution » – Une question en suspend pour le féminisme et pour la gauche. C’est un peu long (et réformiste), mais c’est très intéressant.

Je m’en tiendrai ici à trois remarques.

  1. D’abord, comme le rappelait Mauro dans les commentaires de mon précédent billet sur la question, ce débat tend à être enfermé dans le cadre restreint du réformisme dans un Etat bourgeois, patriarcal et capitaliste. Autant dire que les “solutions” présentées seront difficilement révolutionnaires.
  2. Ensuite, sur la pratique sexuelle de la prostitution, il me semble à la réflexion qu’il s’agit en fait d’une forme de masturbation dominatrice: seul le client en retire du plaisir, et pour ce faire il doit asservir un autre être humain. J’ai peut-être raté un humanisme caché dans la jouissance de l’usage d’un autre individu, auquel cas il ne faudrait pas hésiter à m’éclairer.
  3. Enfin, il me semble que la défense de la prostitution à gauche n’est possible que parce qu’une bonne partie de cette gauche a abandonné la lutte contre une forme d’asservissement de masse dans notre société, le salariat, et ne se contente plus que de vouloir améliorer les conditions de cet asservissement. Dans cette optique, il s’agit simplement de considérer les prostituées comme des prolétaires comme les autres ((ce qui ne me paraît déjà pas correct en soi.)), alors qu’elles semblent plus rentrer dans le cadre de l’individu-entreprise ((plus sur ce sujet dans un autre billet si je trouve le temps et la volonté, ce qui, je te l’accorde, n’est pas gagné en ce moment…)).

Bref, je reste persuadé que la défense de la légalisation de la prostitution (et donc, in fine, de la prostitution elle-même) est difficilement compatible avec les idéaux de la gauche (révolutionnaire) et, même si je reste circonspect sur l’abolitionnisme réformiste, je pense que cette approche a au-moins le mérite de poser la question de la domination de genre dans notre société. Question qui n’est pas posée par les autres approches (réformistes) de la question de la prostitution.

(Et maintenant une petite page de publicité)
Je rappelle que ce débat a été initié par l’article d’Eponine Cynidès: Prostitution : légalisation ne rime ni avec libération ni avec protection dans le Journal Indépendant et Militant.
(fin de la parenthèse publicitaire ;))

28 05 2010

Le désobéissant

Filed under: Aphorismes,Délires,Vive l'Anarchie — oise @ 14:36

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Ma convocation
Pour être assesseur
Aux prochaines élections
Monsieur le Président
Je ne veux pas le faire
Je ne suis pas sur terre
Pour duper des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
II faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais refuser


Joan Baez – Le déserteur

23 04 2010

Z comme Zéro

Filed under: C'est la vie... — Un Homme @ 9:24

Le plus insupportable avec Eric Zemmour, c’est le fait qu’il peut lâcher les propos les plus idiots avec un aplomb d’airain (généralement en assénant un “c’est un fait” qui doit clore toute discussion) sans jamais être contredit par son interlocuteur.

Pas plus tard qu’hier, sur une radio “people” belge, j’ai pu l’entendre proférer que la Belgique avait toujours été française ( “j’étais tenté de dire de toute éternité”) et qu’après 1815 les anglais ont crée la Belgique pour contrarier les ambitions expansionnistes de la France.

On aurait pu espérer que l’un ou l’autre animateur (belge donc) le recadre un peu. En effet, pour autant que je sache, mis à part une courte période entre la Révolution française et la chute de l’Empire napoléonien, la Belgique n’a jamais été française. Bourguignonne, espagnole, autrichienne, hollandaise; mais point française ((Voir la page wikipedia par exemple…)).

Si vous en avez le courage, vous pouvez (ré)écouter l’ensemble de l’interview ((à noter que la séquence s’appelle “l’interview grille-pain” de manière assez incorrecte puisque généralement il s’agit de caresser l’invité dans le sens du poil. C’est plutôt “l’interview calin” en fait…)):

Ce n’est pas un cas isolé. Voir les quelques exemples relevés par Acrimed.

On assiste donc à une véritable entreprise de réécriture de l’histoire et d’abêtissement, puisque que cet histrion sévit généralement sur des médias à forte diffusion (télé, radios, presse nationale).

Pour une lecture intelligente, rien de tel qu’un peu de JIM! ;)

30 03 2010

D’un terrorisme à l’autre

Filed under: C'est la vie...,Paradoxal système,Réflexions — Un Homme @ 10:18

Après les sanglants attentats de Moscou (une quarantaine de morts dans le métro moscovite) déjà attribués, bien qu’aucun groupe ne les ai revendiqués, aux “rebelles du Caucase”, la réaction des autorités était des plus prévisibles.

Ainsi, le président russe, Dmitri Medvedev, pour qui l’attentat est l’oeuvre de “bêtes sauvages”, a-t-il immédiatement déclaré: “La politique de la répression de la terreur et de la lutte contre le terrorisme va se poursuivre. Nous allons poursuivre les opérations contre les terroristes sans compromis et jusqu’au bout”. Le premier ministre, Vladimir Poutine, habitué lui à une rhétorique encore plus martiale ((vous vous souvenez qu’il voulait “buter les terroristes jusque dans les chiottes”?)), a promis que les “terroristes” seraient “anéantis”.

La réaction états-unienne était, elle aussi, prévisible. La secrétaire d’Etat, Hillary Clinton ((qui, pour mémoire, était favorable à l’invasion de l’Irak en 2003.)) a donc affirmé: “Que l’on soit dans le métro de Moscou, le métro de Londres, un train à Madrid ou un immeuble de bureaux à New York, nous faisons face au même ennemi”.

Caucase, Afghanistan, Gaza, même combat?

La suite, on l’imagine très bien. Jouant sur le légitime sentiment d’horreur qu’inspire ce genre d’attentat, les autorités ne tarderont pas à “renforcer les mesures de sécurité” ((qui sont, presque par definition, inefficaces pour garantir la sécurité. Sur la notion de “sécurité” lire par exemple: La « sécurité » : une notion très malléable.)) qui se transformeront rapidement en une augmentation de la discrimination envers les groupes fournissant les usual suspects ((donc, caucasiens pour la Russie, musulmans sous nos latitudes, voire plus généralement les noirs et arabes, dont chacun sait bien qu’ils constituent les hordes de trafiquants aux portes de nos belles cités.)).

Bien sûr, dans l’ensemble du discours sécuritaire, il est essentiel de taire la cause de ces actes barbares. Après tout, des “bêtes sauvages” ne sauraient avoir d’autre motivation que la haine de l’Occident.

Pourtant, comme le note très justement l’article de l’AFP ((sur lequel sont calcés tous les autres… merveille de la diversité de la presse “libre”.)) “ces attentats […] interviennent alors que les forces russes ont multiplié ces derniers mois les opérations contre les rebelles du Caucase, tuant notamment en mars deux de leurs leaders“.

Ainsi, l’horreur à Moscou pourrait être comprise comme un épisode de la guerre brutale que mène l’empire russe dans le Caucase ((à noter que les attentats de Moscou semblaient viser, symboliquement, le siège du FSB (ex-KGB) et le ministère de l’Intérieur.)).

De même, à Bruxelles se déroule actuellement le procès “sous haute surveillance” ((évidemment! Comment pourrait-on maintenir la ménagère belge dans la peur autrement…)) de “la filière belge d’Al Qaeda”. Où l’on reproche principalement aux inculpés d’organiser l’envoi de combattants en Afghanistan ((contre les occupants occidentaux hein, pas pour piloter les F-16 évidemment…)); mais on ne revient pas beaucoup sur le fait que cette “filière” (et donc ce procès) n’auraient eu aucune raison d’être si les américains et leurs vassaux n’avaient envahis l’Afghanistan en 2001.

Dernier exemple, celui d’un kamikaze jordanien qui s’est fait exploser dans une base de la CIA en Afghanistan. D’après son frère, il avait été profondément changé par l’attaque israélienne sur Gaza en janvier 2009, ce qui aurait pu le pousser dans les bras de l’islamisme radical façon Ben Laden…

Bref, face au cauchemar qui, parfois, surgit brutalement dans notre quotidien, nous ne devons jamais oublier l’horreur que nous faisons quotidiennement vivre à d’autres populations qui subissent le joug de notre impérialisme. Nous restons la principale source du terrorisme dans le monde. Vouloir l’ignorer ou l’oublier nous condamne à ne traiter que les conséquences plutôt que de s’attaquer aux causes.

Pour paraphraser Noam Chomsky: il y a une solution facile pour réduire la menace du terrorisme, il suffit de cesser d’y participer.

27 03 2010

Le Spectacle, hier comme aujourd’hui…

Filed under: Aphorismes,Lectures,Réflexions — Un Homme @ 21:15

En lisant La Société du spectacle, écrit en 1967 par Guy Debord, on ne peut être que frappé par l’actualité de certaines thèses. Ainsi par exemple:

Dans ce développement complexe et terrible qui a emporté l’époque des luttes de classes vers de nouvelles conditions, le prolétariat des pays industriels a complètement perdu l’affirmation de sa perspective autonome et, en dernière analyse, ses illusions, mais non son être. Il n’est pas supprimé. Il demeure irréductiblement existant dans l’aliénation intensifiée du capitalisme moderne: il est l’immense majorité des travailleurs qui ont perdu tout pouvoir sur l’emploi de leur vie, et qui, dès qu’ils le savent, se redéfinissent comme le prolétariat, le négatif à l’oeuvre dans cette société. Ce prolétariat est objectivement renforcé par le mouvement de disparition de la paysannerie, comme par l’extension de la logique du travail en usine qui s’applique à une grande partie des “services” et des professions intellectuelles. C’est subjectivement que ce prolétariat est encore éloigné de sa conscience pratique de classe, non seulement chez les employés mais aussi chez les ouvriers qui n’ont encore découvert que l’impuissance et la mystification de la vieille politique. Cependant, quand le prolétariat découvre que sa propre force extériorisée concourt au renforcement permanent de la société capitaliste, non plus seulement sous la forme de son travail, mais aussi sous la forme des syndicats, des partis ou de la puissance étatique qu’il avait constitués pour s’émanciper, il découvre aussi par l’expérience historique concrète qu’il est la classe totalement ennemie de toute extériorisation figée et de toute spécialisation du pouvoir. Il porte la révolution qui ne peut rien laisser à l’extérieur d’elle-même, l’exigence de la domination permanente du présent sur le passé, et la critique totale de la séparation; et c’est cela dont il doit trouver la forme adéquate dans l’action. Aucune amélioration quantitative de sa misère, aucune illusion d’intégration hiérarchique, ne sont un remède durable à son insatisfaction, car le prolétariat ne peut se reconnaître véridiquement dans un tort particulier qu’il aurait subi ni donc dans la réparation d’un tort particulier, ni d’un grand nombre de ces torts, mais seulement dans le tort absolu d’être rejeté en marge de la vie.

Guy Debord, La Société du Spectacle, 1967, thèse 114

à méditer, longuement… ;)

19 02 2010

Faut-il légaliser la prostitution?

Filed under: C'est la vie...,Réflexions — Un Homme @ 21:22

Suite à un récent article sur le sujet dans JIM (Prostitution : légalisation ne rime ni avec libération ni avec protection) j’ai été surpris de voir l’ampleur du débat interne que la question a suscité.

Autant je peux comprendre que la question divise la droite entre une position libérale favorable à la légalisation (gloire au Marché) et une droite conservatrice qui y est opposée (pour des raisons morales); autant je suis étonné qu’elle puisse diviser à gauche.

Même si je suis intimement persuadé des meilleures intentions de ceux qui la défendent à gauche, la légalisation de la prostitution, c’est à dire de la marchandisation du corps humain, sachant qu’elle est très majoritairement subie par ceux qui se prostituent, pose deux questions fondamentales que je vais même élargir au-delà du cas de la prostitution (puisque le précedent légal sera très certainement appelé à s’élargir également).

1. Le corps humain doit-il être considéré comme une marchandise?

2. Faut-il préférer la certitude d’une exploitation adoucie à l’incertitude de la fin de cette exploitation?

A mon sens, les partisans de la légalisation répondent ((et très certainement à contrecoeur)) oui à ces deux questions. Les gains potentiels (visiblement loin d’être acquis) en valent-ils vraiment la chandelle?

13 02 2010

Still alive!

Filed under: C'est la vie...,Réflexions,Vive l'Anarchie — Un Homme @ 23:53

Eh oui! C’est un peu le désert ici… Je sais, je sais, je vous abandonne. :/

J’avais prévu d’écrire des notes sur deux sujets; mais malheureusement je ne semble pas trouver le temps nécessaire pour m’y consacrer, et puis, d’autres ont déjà écrit sur les mêmes sujets, donc autant éviter les redites…

Le premier d’entre-eux concernait le tremblement de terre en Haïti et la réaction qui en a découlé.

En fait, ce qui m’a frappé était le décalage énorme entre les divers chiffres mentionnés.
Le nombre de victimes d’abord: 100, puis 150 et maintenant 200 mille personnes. Un chiffre qui défie l’imagination.

La réaction occidentale ensuite, parce qu’on n’a, évidemment, pas trop parlé de l’aide immédiatement apporté par Cuba et le Vénézuala dans le PPA. Mais l’on a beaucoup insisté sur l’ampleur du “déploiement humanitaire” qui se compte en dizaine de milliers de personnes (Marines américains compris) ((La question de la “sécurité” mériterait à elle seule un billet complet. Retenons essentiellement qu’il ne semblait pas y avoir de souci majeur de ce côté-là contrairement à ce qu’on nous laisse entendre pour justifier l’occupation militaire occidentale.)).

Par contraste, le tout petit nombre de personnes dégagées des ruines, autour de 200 apparemment, ne peut que me laisser songeur. A-t-on rencontré le même genre de rapport (1/1000) lors d’autres importants tremblements de terre? (En Chine récemment, par exemple)

Le temps me manque malheureusement pour chercher plus loin. Une chose est certaine, les secours se sont concentrés sur la seule ville de Port-au-Prince et les autres zones touchées par le séïsme ont dû attendre de très longs jours (voire plus d’une semaine) avant de voir l’aide internationale se préoccuper d’elles.

Autre sujet sur lequel j’aurais voulu m’exprimer c’est la tendance actuelle à légiférer sur les chiffons que portent certaines femmes, pénalisant ainsi celles qu’on prétend défendre. Stratégie de diversion comme l’explique Le Monolecte.

Qu’est-ce qui suivra?
L’interdiction de la barbe (c’est bien connu, seuls les islamistes ou les gauchistes portent des barbes)?
L’interdiction de la calvitie (les skins, c’est tous des fachos)?

On est mal barré en tout cas…

26 01 2010

Pour nous changer de Marx…

Filed under: C'est la vie...,Lectures,Vive l'Anarchie — Un Homme @ 20:49

(un peu de lecture pour vous occuper en attendant que je termine de rédiger d’autres billets ;))

Supposons qu’une colonie de vingt ou trente familles s’établisse dans un canton sauvage, couvert de broussailles et de bois, et dont, par convention, les indigènes consentent à se retirer. Chacune de ces familles dispose d’un capital médiocre, mais suffisant, tel enfin qu’un colon peut le choisir : des animaux, des graines, des outils, un peu d’argent et des vivres. Le territoire partagé, chacun se loge de son mieux et se met à défricher le lot qui lui est échu. Mais, après quelques semaines de fatigues inouïes, de peines incroyables, de travaux ruineux et presque sans résultat, nos gens commencent à se plaindre du métier ; la condition leur paraît dure ; ils maudissent leur triste existence.

Tout à coup, l’un des plus avisés tue un porc, en sale une partie, et, résolu de sacrifier le reste de ses provisions, va trouver ses compagnons de misère. Amis, leur dit-il d’un ton plein de bienveillance, quelle peine vous prenez pour faire peu de besogne et pour vivre mal ! Quinze jours de travail vous ont mis aux abois !… Faisons un marché dans lequel tout sera profit pour vous ; je vous offre la pitance et le vin ; vous gagnerez par jour tant ; nous travaillerons ensemble, et, vive Dieu ! mes amis, nous serons joyeux et contents !

Croit-on que des estomacs délabrés résistent à une pareille harangue ? Les plus affamés suivent le perfide incitateur : on se met à l’oeuvre ; le charme de la société, l’émulation, la joie, l’assistance mutuelle doublent les forces, le travail avance à vue d’oeil ; on dompte la nature au milieu des chants et des rires ; en peu de temps le sol, est métamorphosé ; la terre ameublir n’attend plus que la semence. Cela fait, le propriétaire paye ses ouvriers, qui en se retirant le remercient, et regrettent les jours heureux qu’ils ont passés avec lui.

D’autres suivent cet exemple, toujours avec le même succès ; puis, ceux-là installés, le reste se disperse : chacun retourne à son essart. Mais en essartant il faut vivre ; pendant qu’on défrichait pour le voisin, on ne défrichait pas pour soi : une année est déjà perdue pour les semailles et la moisson. L’on avait compté qu’en louant sa main d’oeuvre on ne pouvait que gagner, puisqu’on épargnerait ses propres provisions, et qu’en vivant mieux on aurait encore de l’argent. Faux calcul ! on a créé pour un autre un instrument de production, et l’on n’a rien créé pour soi ; les difficultés du défrichement sont restées les mêmes ; les vêtements s’usent, les provisions s’épuisent, bientôt la bourse se vide au profit du particulier pour qui l’on a travaillé, et qui seul peut fournir les denrées dont on manque, puisque lui seul est en train de culture. Puis, quand le pauvre défricheur est à bout de ressources, semblable à l’ogre de la fable, qui flaire de loin sa victime, l’homme à la pitance se représente ; il offre à celui-ci de le reprendre à la journée, à celui là de lui acheter, moyennant bon prix, un morceau de ce mauvais terrain dont il ne fait rien, ne fera jamais rien ; c’est-à-dire qu’il fait exploiter pour son propre compte le champ de l’un par l’autre ; si bien qu’après une vingtaine d’années, de trente particuliers primitivement égaux en fortune, cinq ou six seront devenus propriétaires de tout le canton, les autres auront été dépossédés philanthropiquement.

Dans ce siècle de moralité bourgeoise où j’ai eu le bonheur de naître, le sens moral est tellement affaibli, que je ne serais point du tout étonné de m’entendre demander par maint honnête propriétaire, ce que je trouve à tout cela d’injuste et d’illégitime. Âme de boue ! cadavre galvanisé ! comment espérer de vous convaincre si le vol en action ne vous semble pas manifeste ? Un homme, par douces et insinuantes paroles, trouve le secret de faire contribuer les autres à son établissement ; puis, une fois enrichi par le commun effort, il refuse, aux mêmes conditions qu’il a lui-même dictées, de procurer le bien-être de ceux qui firent sa fortune : et vous demandez ce qu’une pareille conduite a de frauduleux ! Sous prétexte qu’il a payé ses ouvriers, qu’il ne leur doit plus rien, qu’il n’a que faire de se mettre au service d’autrui, tandis que ses propres occupations le réclament, il refuse, dis-je, d’aider les autres dans leur établissement, comme ils l’ont aidé dans le sien ; et lorsque, dans l’impuissance de leur isolement, ces travailleurs délaissés tombent dans la nécessité de faire argent de leur héritage, lui, ce propriétaire ingrat, ce fourbe parvenu, se trouve prêt à consommer leur spoliation et leur ruine. Et vous trouvez cela juste ! prenez garde, je lis dans vos regards surpris le reproche d’une conscience coupable bien plus que le naïf étonnement d’une involontaire ignorance.

P-J. Proudhon, Qu’est-ce que la propriété, Chapitre III.

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