S’il est un constat évident à faire, c’est bien celui que le capital a bien compris qu’il ne pourrait prospérer dans un cadre strictement national.
Ainsi, déjà bien avant la Première Internationale, les détenteurs du capital avaient compris la nécessité de dépasser le cadre de leurs frontières pour conquérir de nouveaux marchés ((le capitalisme est intrinsèquement impérialiste, il doit sans cesse croître sous peine de s’effondrer.)), c’est l’époque des Compagnies des Indes Orientales (dont la plus célèbre est bien sûr la Compagnie anglaise des Indes Orientales) qui donneront naissance au XIXème siècle aux différents empires coloniaux ((de même, pour la Belgique, la colonisation du Congo est née d’un projet économique porté par le roi Léopold II)). Ces compagnies étaient essentiellement des entreprises privées préfigurant les transnationales d’aujourd’hui.
Mais si l’idée de sociétés transnationales n’est pas nouvelle, l’apogée de leur hégémonie n’apparaîtra que dans la seconde moitié du XXème siècle.
Aidées par les institutions nées des accords de Bretton-Woods (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International) et surtout par la création du GATT (ancêtre de l’Organisation Mondiale du Commerce) qui facilitent la libre circulation des capitaux et posent les fondements du dogmatisme libéral actuel, nombre d’entreprises ont ainsi pu étendre leur empire avec la protection bienveillante des acteurs institutionnels ((d’autant plus que cela permet, en pleine période de décolonisation, aux Etats colonisateurs de conserver un certain contrôle sur leur anciennes colonies sans devoir recourir aux canonnières d’antan.)) .
Ainsi sont nées un certain nombre d’institutions internationales (c’est-à-dire regroupant des Etats) crées de manière formelle (OMC, OCDE, CEE, …) ou informelle (G8, Club de Paris, …); mais également, des rencontres regroupant des acteurs non-institutionnels comme par exemple le Forum Economique de Davos ou le plus discret Groupe Bilderberg, ou encore, plus récemment, le G8 Business Summit (voir photo) qui regroupe les dirigeants patronaux des pays du G8.
Ces réunions entre puissants leur permettent de se pencher sur divers “problèmes” (par exemple: comment sauver le système du capitalisme mondialisé en crise, comment restaurer la confiance dans ce modèle qui va d’échec en échec, …), d’établir des programmes de “réformes” ((voir par exemple ce précédent article)), mais aussi des déclarations communes.
Par ailleurs, cette organisation transnationale du système économique (mondialisation) permet de mettre en concurrence les travailleurs de différentes zones de production (délocalisations) afin de diviser un mouvement de contestation global en de multiples luttes locales déconnectées et donc plus facilement gérables; car, elle permet également, comme je le disais précedemment, d’éloigner les travailleurs des centres de décision (filiales, sous-traitance, …), ce qui, combiné avec une intense propagande ((qui fera l’objet d’un prochain article)), amène à faire plus facilement accepter l’inéluctabilité des diktats économiques.
Bref, cette “Internationale du Capital“, loin d’être la manifestation d’une solidarité dépassant le cadre artificiel et obtus des frontières, procède d’une convergence d’intérêts économiques dont l’objectif, au contraire de l’internationalisme ouvrier qui visait à l’émancipation des travailleurs, est bien évidemment de maintenir et augmenter ((voir note 1.)) les avantages qu’elle a durement acquis à la sueur du front des classes laborieuses dans le cadre de cette guerre de classe qu’elle mène contre nous.
[…]
Tant de libertés pour si peu de bonheur
Est-ce que ça vaut la peine
Si on veut t’amener à renier tes erreurs
C’est pas pour ça qu’on t’aime
Si tu réalises que l’amour n’est pas là
Que le soir tu te couches
Sans aucun rêve en toi
Résiste
Prouve que tu existes
Cherche ton bonheur partout, va,
Refuse ce monde égoïste
Résiste
Suis ton cœur qui insiste
Ce monde n’est pas le tien, viens,
Bats-toi, signe et persiste
Résiste
[…]
J’ai déjà parlé de la carte Mobib de la Stibprécédemment. Pour résumer, il s’agit d’un nouveau passe utilisant une puce RFID (donc lisible à distance) et appelé à remplacer les cartes magnétiques actuelles. Cette nouvelle carte est entrée officiellement en fonction le 1er juillet dernier. Au-delà des aspects relatifs à la vie privée que j’ai déja évoqué ici ((notons tout de même au passage que les médias bourgeois n’ont commencé à évoquer cet aspect de la question qu’après que le groupe PS au parlement bruxellois n’exprime des craintes à ce sujet, le 2 juillet, c’est-à-dire après le lancement officiel de Mobib. A contrario, des journaux tels que A voix autre avaient déjà abordé cette question auparavant et restent vigilants.)), intéressons-nous aux raisons invoquées pour le passage à ce flicage en règle de nos déplacements.
Dans cet article laudateur ((il vante entre autre “des tarifs avantageux que promet la Stib pour lancer le système…“, alors qu’il s’agit simplement de ne pas répercuter la (n-ième) hausse de prix du billet)) de La Libre Belgique, le directeur général de la Stib, Alain Flausch, nous l’explique benoîtement:
Que ce soit via les cartes de banque ou les cartes d’identité, nous sommes dans un monde ‘à carte à puce’. La Stib se devait de rester en phase avec l’évolution de la société.
Bref, pas vraiment besoin de justifier ce projet chiffré dans l’article à 23 millions d’euros ((à titre de comparaison, ça représente l’équivalent de 4 nouveaux métros de type “boas” ou 10 trams T3000, cf. Rapport quinquennal 2001-2005 de la Stib. Dans le même temps, la Stib va devoir se serrer la ceinture. Voir par exemple, cette intervention de Céline Delforge)), il s’agit “de rester en phase“…
Néanmoins, la Stib effectue une énorme campagne de propagande publicité axée autour de trois thèmes: liberté, rapidité, facilité. Chacun de ces thèmes fait l’objet d’une campagne d’affichage propre.
Ainsi, “Liberté” signifie la “liberté” de pouvoir acheter son abonnement en-ligne à n’importe quelle heure du jour (ou de la nuit) et non la liberté de pouvoir se rendre à n’importe quel lieu de la capitale à n’importe quelle heure.
Avantage pour le voyageur? Zéro ((D’ailleurs, probablement conscients de l’inanité de cette “liberté”, ils tentent d’appâter les étudiants en leur offrant en prime une carte gsm d’une valeur de 5 euros s’ils achètent leur abonnement en-ligne.)).
La campagne “Rapidité” cherche à nous faire croire que ce qui nous prend le plus de temps lors de nos transports, c’est la validation et non l’attente, parfois très longue, d’un bus ou un tram ((à tel point qu’il est souvent plus rapide de prendre le vélo ou d’y aller à pied)).
Avantage pour le voyageur? Nada.
Je n’ai pas encore découvert la campagne pour la “Facilité” mais, je ne sais pourquoi, je doute qu’il s’agisse de simplifier les horaires (quasi un horaire différent par jour, sans compter les “petites vacances”, les “grandes vacances”) ou les correspondances (multiplications des lignes de trams et de bus, réseaux différents avant et après 20h, …).
Donc, pas de réel avantage pour le voyageur; mais un réel avantage pour la Stib, puisque le flicage permanent que permet Mobib lui permettra “de mieux connaître chaque client et de développer un marketing “segmenté”.” ((cf. cet article précédemment mentionné)).
Pour cela, la société des transports bruxellois doit s’assurer que tout le monde utilise Mobib et pointe conscienceusement lors de chaque montée. Pour ce faire, il suffit de la rendre obligatoire et de faire un gros mensonge sur la “validation obligatoire” comme le raconte Vinalia dans cet article.
Car, si l’on évoque souvent le fait que d’autres grandes villes telles que Paris ou Londres ont adopté un système similaire, on ne signale quasiment jamais ici les problèmes et oppositions à ces systèmes.
Ainsi, à Paris, il y a encore 1 million d’utilisateurs de la carte Orange (RATP et RER) qui refusent de passer au fameux passe Navigo ((Le Canard Enchaîné, 30/07/2008)) dont il avait été question lors de l’occupation de la CNIL en décembre 2007. Pas parce que ce sont des paranoïaques soucieux du respect de leur vie privée, non, juste parce qu’ils ne voient pas d’avantages à ce nouveau passe.
Décidemment, les gens refusent d’être en phase avec l’évolution de la société. Qu’importe, la société évoluera sans eux…
A Londres, c’est le système de carte Oyster qui connait de nombreux problèmes ((voir par exemple, en anglais, cet article du Register)), dont l’un des plus importants est le fait que cette carte a été “craquée” par une équipe universitaire hollandaise, ce qui pose quand-même un certain nombre de questions lorsqu’on sait que ce genre de carte a aussi pour objectif de devenir une sorte de porte-monnaie électronique…
Heureusement ce n’est pas dans ce petit royaume que les médias (qui mentent) auront l’impolitesse de poser ce genre de questions ou que l’on aura droit à un réel débat public sur la mobilité à Bruxelles…
Quand on lit le communiqué des 4 inculpés du Secours Rouge, on peut sourire à l’évocation de la lutte des classes, à l’opposition entre la bourgeoisie et le prolétariat. On peut se dire qu’il s’agit d’un combat dépassé au XXIème siècle. Et pourtant…
Pourtant, les puissances de l’argent savent bien que cette lutte existe. Comme l’affirme Warren Buffett, l’homme le plus riche de la planète:
There’s class warfare, all right, but it’s my class, the rich class, that’s making war, and we’re winning. ((Warren Buffett, New York Times, November 26, 2006.))
Il y a une guerre de classes, c’est sûr, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui fait la guerre et nous sommes en train de gagner.
Et il est clair que la classe dominante a parfaitement intégré certains concepts du discours traditionnel de gauche, tels que la lutte des classes, l’internationalisme ou encore la propagande.
Je vais ici m’attacher à illustrer un peu cette “guerre de classes” que mènent les puissances de l’argent contre nous et je reviendrai sur l’internationalisme et la propagande dans de prochains articles.
Quand on parle de lutte des classes, trop souvent c’est l’image traditionnelle d’ouvriers se battant contre le patron qui ressurgit. Il va de soi que cette vision simpliste qui délimite en deux camps bien identifiés prolétariat et bourgeoisie n’est plus vraiment de mise dans la société capitaliste du XXIème siècle. Le système a su évoluer de manière à rendre les vrais bénéficiaires du système (les “patrons”) nettement moins identifiables en diluant la chaîne des responsabilités entre plusieurs acteurs qui profitent à des degrés divers de ce système: actionnaires, conseils d’administration, présidents, CEOs, directeurs régionaux, managers, chefs d’équipe, contremaîtres, etc.
Le résultat direct de cette évolution est de rendre le(s) réel(s) donneur(s) d’ordres inaccessibles à ses travailleurs. Du coup, lorsque qu’un groupe de travailleurs en ayant assez de se prendre des coups de tatanes dans la gueule, se révolte et retient son “patron” dans les locaux de l’entreprise, celui-ci peut, en toute bonne foi, leur dire qu’il n’y peut rien, qu’il n’est qu’un simple exécutant.
En toute bonne foi?
Oui et non. Oui d’un point de vue purement structurel: il n’est, de fait, qu’un rouage dans des mécanismes de décisions qui se prennent (plus ou moins) loin de lui. Non car pour arriver à son poste, à ce niveau de responsabilité, il a dû accepter et intérioriser les valeurs de ce système. En acceptant son poste à responsabilité, il devient donc (au-moins partiellement) complice d’un système qu’il sert et qui le sert.
Dès lors, vers qui peuvent se retourner les travailleurs en colère? Vers le conseil d’administration? Vers l’assemblée générale des actionnaires ((on écoutera avec intérêt ce reportage de Là-bas si j’y suis qui suit un groupe d’ouvrières du Nord se rendant à l’assemblée générale des actionnaires de LVMH pour interpeller Bernard Arnault sur la fermeture de leur usine.)) ? Vers l’actionnaire majoritaire?
A côté des donneurs d’ordres invisibles et inaccessibles, le mécanisme de dilution des responsabilités permet également de faire éclater la cohésion des masses laborieuses en en gratifiant une partie de miettes de pouvoir et donc de richesses et en lui faisant miroiter la possibilité de s’élever dans la hiérarchie. Ainsi s’est crée ce qu’on a appelé une “classe moyenne” de possédés (travailleurs salariés) possédants (accès à la propriété foncière, petite consommation de luxe, petit actionnariat, etc.) qui, craignant de perdre leur statut de “possédants”, en vient à défendre les valeurs des classes aisées (les vrais possédants) contre les classes laborieuses ((au passage, la problématique actuelle du “pouvoir d’achat” illustre fort bien pour moi la dualité possédé-possédant de cette “classe moyenne”. En effet, en tant que “possédés”, elle est sensible à la modération salariale et en tant que “possédante”, elle se doit d’adopter les comportements de consommation des classes aisées. Cette question mériterait certainement un article séparé.)) .
Donc, l’un des premiers aspects que l’on observe de cette guerre de classes est la tentative (fructueuse pour l’instant) de la classe dominante de fractionner les classes laborieuses en groupes antagonistes (j’ai déjà mentionné l’opposition entre “classe moyenne” et “classe laborieuse“; mais, la classe laborieuse représentant toujours une large part de la population, et donc une menace importante pour ceux qui l’exploitent, cela ne suffit pas et il faut donc créer d’autres antagonismes pour diviser encore plus le tissu social: travailleurs contre chômeurs, autochtones contre allochtones, usagers contre grévistes ((il est intéressant de noter que ceux qui sont habituellement désignés comme des clients redeviennent, lors de mouvements sociaux, des usagers.)) , …) suivant l’adage classique du diviser pour mieux régner.
Une fois acquise la désagrégation de toute possible résistance commune, les puissances du capital peuvent, sans grande crainte, lancer des attaques à la fois économiques et idéologiques.
Les attaques économiques consistent d’une part à asseoir leur position dominante et l’augmentation de leur capital à l’aide de ce qu’on appelle, dans la novlangue actuelle, des “réformes“: allègements fiscaux (exemples récents, le bouclier fiscal en France ou les intérêts notionnels en Belgique), aides publiques (exemples: prime aux biocarburants, aide à certaines grosses industries), concentrations (exemple récent: GDF-Suez), etc.
D’autre part, il s’agit aussi de précariser les classes laborieuses en s’attaquant prioritairement à leurs composantes les plus fragiles (chômeurs, jeunes, vieux, sans-papiers, sans-abris, travailleurs non-qualifiés, …) à l’aide d’un arsenal juridique (expulsions de sans-papiers, réactivation ((notons au passage l’aspect très mécanisé de ce terme. Le chômeur est un travailleur désactivé qu’il s’agit, en appuyant sur les bons boutons, de réactiver.)) et radiation des chômeurs, augmentation de l’intérim et du travail précaire, retour sur la dispense de recherche de travail pour les seniors, refonte du code du travail pour augmenter la flexibilité des travailleurs, refonte du droit au logement pour faciliter les expulsions, etc.) afin de faire comprendre à ceux qui n’appartiennent pas (encore) à ces catégories qu’ils sont des privilégiés.
La plupart de ces attaques économiques nécessitant l’aide (ou à tout le moins la neutralité bienveillante) de l’Etat, il est essentiel dans le même temps de procéder à des attaques idéologiques de manière à ce que les représentants politiques puissent agir en faveur du grand capital au nom du “bien commun“.
Ces attaques, utilisant l’arme de la propagande, visent tous ceux qui pourraient remettre en cause le modèle actuel par une mobilisation de masse: syndicats ((“le syndicalisme que l’on doit combattre, c’est celui de SUD“, François Hollande)), mouvements sociaux ((“désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit“, Nicolas Sarkozy)), contestataires de tout poil ((“Les altermondialistes qui s’apprêtent à empêcher par la violence le sommet européen de Laeken sont des quasi-fascistes.“, Guy Verhofstadt. Plus récemment, la criminalisation de la solidarité, ou encore la dénonciation régulière de l'”irréalisme” des propositions de gauche, etc. Je reviendrai sur la propagande dans un autre article.)), afin de décrédibiliser aux yeux de l’opinion les alternatives possibles à un système qui ne profite vraiment qu’à une toute petite minorité.
Bref, même si les contours des classes sont moins bien définis qu’autrefois, il n’en reste pas moins clair que la guerre menée par la classe dominante, celle qui détient le pouvoir, celle qui donne les ordres, celle qui veille à maintenir ce système en place, contre la classe dominée, celle qui reçoit les ordres, celle qui produit les richesses mais qui n’en bénéficie que très marginalement; cette guerre est bien réelle et bien comprise par ceux qui la mènent.